CEDH : mineur interviewé sans consentement parental
Viole l'article 8 de la CEDH la diffusion de l'entretien télévisé d’une mineure de 11 ans à propos de l'accident mortel d'une camarade de classe, sans consentement de ses parents, l'exposant ainsi à des brimades et à un stress émotionnel.
A la suite du décès d'une élève roumaine lors d'un voyage scolaire, l'une des ses camarades, alors âgée de 11 ans, a été interrogée au sujet de cet accident par une journaliste de télévision, sans que le consentement de ses parents n'ait été demandé et sans qu'aucun de ses professeurs ne soit présent.L'élève a notamment déclaré qu'elle avait entendu dire que la jeune fille décédée était tombée d'un train sans avoir été encadrée par un enseignant, ajoutant que "les élèves auraient dû être mieux surveillés pour assurer leur sécurité".Après diffusion de cette interview, une transcription en a été publiée sur le site internet de la chaîne, sous le titre suivant : "Les camarades de classe de la fille tombée du train sont choqués. L'élève se rendait aux toilettes lorsque le drame s'est produit". Déclarant avoir par la suite souffert d’une attitude négative manifestée à son égard tant par ses camarades de classe, le personnel et les autorités scolaires, l'élève a assigné en réparation la chaîne de télévision. Un tribunal a condamné la chaîne à lui verser des dommages-intérêts au motif que le consentement parental n’avait pas été donné. Les juges notamment constaté que même flouté, le visage de la requérante pouvait être reconnaissable. Le jugement a toutefois été annulé par un tribunal départemental au motif que la liberté journalistique et l'intérêt public devaient prévaloir et que la chaîne ne devait pas être tenue pour responsable du comportement des membres du milieu scolaire. Dans un arrêt rendu le 1er mars 2022 (requête n° 35582/15), la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) retient, s'agissant de l'interview, que si le sujet était d'intérêt public, "le droit du mineur à sa vie privée et à son image privée [prévalait] sur l’impératif d'information, notamment dans le cas d'un mineur en situation difficile".Elle observe que les juridictions internes ont conclu que la requérante avait éprouvé de grandes angoisses à la suite de la diffusion de l’interview. Or, la divulgation d'informations privées, y compris dans le cadre d'un reportage contribuant à un débat public, ne doit pas constituer un abus de la liberté éditoriale et doit être justifiée. Exprimant en l'espèce ses doutes quant à la pertinence pour un débat d'intérêt public de l’opinion d'un enfant qui n'avait pas été témoin de l'événement en question, la CEDH en conclut que les juridictions d’appel dans cette affaire n’ont que superficiellement mis en balance le droit de la requérante à la vie privée et le droit du diffuseur à la liberté d’expression. Elles n'ont pas dûment tenu compte du fait que la requérante était mineure, manquant ainsi à leur obligation de protéger son droit à la vie privée, en violation de l'article 8 de la Convention EDH.