Skip to main content

#MeToo du vin : condamnation d'une viticultrice pour diffamation

Bien que relevant d'un débat d'intérêt général, la cour d'appel de Bourges juge diffamatoires les propos d'une viticultrice dénonçant sur son compte Instagram les violences sexuelles d'un vigneron réputé, faute de mesure dans ses propos et de rappel du principe de la présomption d'innocence.En 2022, un vigneron exerçant dans le Sancerrois a été informé qu'une lanceuse d'alerte danoise avait relayé sur internet des témoignages anonymes qui évoquaient, sans mentionner de nom, l'existence d'un vigneron français auteur de faits de harcèlement et d'agression sexuels commis lors de ses déplacements professionnels au Danemark.

Le professionnel a par ailleurs été avisé de l'existence du compte Instagram @paye-tonpinard tenu par une vigneronne du Beaujolais, militante contre les violences sexuelles faites aux femmes dans le monde viticole. Le 16 mai 2022, cette dernière a publié sur ce compte une photographie d'un panneau d'affichage posé devant une cave à vins sur lequel étaient inscrits les propos suivants : "[AD] [V] Wines getting removed from Stores in Europe after Wine Maker stalked, assaulted & raped multiple Women". Dans deux publications des 14 et 15 juin 2022, elle a évoqué des accusations de harcèlement et agressions sexuelles émanant de plusieurs femmes, désignant le vigneron comme l'auteur des faits, et pris position sur la tribune publiée par le collectif de soutien de ce dernier en dénonçant notamment la "culture du viol". L'intéressé a déposé plainte du chef de diffamation en raison de ces publications. Dans un arrêt rendu le 22 août 2024 (n° 23/00700), la cour d'appel de Bourges retient que le premier juge a justement retenu que les publications litigieuses s'inscrivaient dans un mouvement de libération de la parole des femmes victimes d'infractions sexuelles et que la vigneronne avait agi dans le cadre de son combat féministe, notoire avant même lesdites publications. Au regard de l'enjeu sociétal de la lutte contre les agressions sexuelles et les comportements sexistes, le public a un intérêt particulier à être informé de l'existence de faits délictuels ou criminels à caractère sexuel commis par une personne jouissant d'une réputation dans un milieu professionnel donné, peu important que ces faits ne soient pas directement dénoncés par les victimes mais que leur parole soit relayée par un tiers.Il convient donc d'admettre que les propos tenus par la vigneronne dans ses publications des 16 mai, 14 juin et 15 juin 2022 relèvent d'un débat d'intérêt général. Toutefois, les juges du fond relèvent que force est de constater que la militante n'a employé aucune précaution de langage dans ses différentes publications : elle affirme sans nuances que le vigneron "a harcelé, agressé et violé plusieurs femmes" et le qualifie d'"agresseur". En écrivant "on met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité", elle ne rappelle pas le principe de la présomption d'innocence, mais ironise sur son application à l'intéressé en laissant sous-entendre qu'une présomption de "culpabilité" pourrait être plus pertinente. C'est donc à bon droit que le premier juge a relevé le caractère péremptoire des propos tenus par la défenderesse, l'absence de mesure attendue au regard de la sensibilité du sujet et l'absence de rappel du principe fondamental de la présomption d'innocence, qu'il a estimé d'autant plus nécessaire au regard de la gravité des faits dénoncés et du média choisi, qui facilite la diffusion desdits propos.Ni le contexte militant dans lequel les propos diffamatoires s'inscrivent, ni la souplesse requise par la jurisprudence de la Cour de cassation dans l'appréciation de la condition de prudence et mesure dans l'expression lorsque les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, au demeurant contrebalancée par la rigueur exigée lorsqu'il est nécessaire de faire respecter le principe de la présomption d'innocence, ne permettent d'aboutir à une appréciation différente. L'autrice des propos litigieux échoue donc à démontrer que les propos diffamatoires aient été exprimés avec prudence et mesure. SUR LE MEME SUJET : #Balancetonporc : rejet de l'action en diffamation - Legalnews, 13 mai 2022