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CEDH : contraindre un journal à lever l'anonymat en ligne de ses utilisateurs

Les données d’utilisateur ne sont pas couvertes par la protection des "sources journalistiques" et il n’y a pas de droit absolu à l’anonymat en ligne, mais une mise en balance des intérêts doit être effectuée par les juridictions nationales.La société autrichienne, éditrice du journal Der Standard, permettait à des utilisateurs inscrits de commenter, en ligne, des articles publiés sur le site.

Pour en être utilisateur, l’individu devait indiquer son nom, son adresse e-mail ainsi que postale (facultatif). Sur le site, la société requérante précisait que ces informations ne seraient pas vues par les internautes et qu’elle ne les divulguerait qu’en cas d’obligation résultant de la loi. Toutefois, une modération était directement effectuée par la société sur les forums de discussion, consistant à vérifier environ 6.000 commentaires par jour, pour en supprimer certains et transmettre les données de l’utilisateur le cas échéant. Suite notamment à la publication de deux articles, dont l'un relatif à l’un des leaders du parti politique régional autrichien, et l'autre relatif à l'un des membres du Conseil national et secrétaire général du Parti libéral autrichien, de nombreux commentaires malveillants avaient été déposés. Les deux hommes politiques ont donc demandé à la société de les supprimer et de lui transmettre les informations sur les auteurs. La société requérante les supprima mais refusa de communiquer les informations d’utilisateurs. Les deux personnalités lésées ont assigné la société en justice. La Cour suprême a finalement ordonné que les informations sur les utilisateurs soient révélées aux parties demanderesses "considérant que puisqu’il n’y avait pas de lien avec une activité journalistique, il n’y avait pas d’ingérence illégale dans l’exercice par la société requérante du droit à la liberté de la presse". De plus, elle estima que les demandeurs avaient justifié d’un intérêt juridique primordial à obtenir la divulgation des données. Se fondant sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la société a saisi la Cour de Strasbourg, considérant que les décisions judiciaires prises à son encontre par l’Etat autrichien portaient atteinte à son droit à la liberté d’expression. Par un arrêt du 7 décembre 2021 (requête n° 39378/15), "la Cour [a jugé] que, comme les commentateurs s’adressaient au public et non à un journaliste, ils ne peuvent être tenus pour des "sources" journalistiques. Toutefois, selon la Cour, la fonction générale de la société requérante était de favoriser un débat ouvert et de diffuser des idées sur des questions d’intérêt public, "mission protégée par la liberté de la presse". Ainsi, le simple fait de communiquer les données des utilisateurs "est de nature à avoir un effet dissuasif sur la participation au débat". Si la CEDH rappelle que la Convention ne garantit pas un droit absolu à l’anonymat en ligne, elle estime cependant qu’il "est de nature à favoriser la libre circulation des opinions, des idées et des informations, notamment sur Internet" et ainsi, qu’il "ne serait pas effectif si la société requérante ne pouvait le défendre par ses propres moyens". A ce titre, la levée de cet anonymat constitue "une ingérence dans l’exercice par la société requérante du droit à la liberté de la presse". Par un premier contrôle, la Cour relève que cette ingérence était prévue par la loi et poursuivait le but légitime consistant à protéger la réputation d’autrui. Toutefois, "elle considère que les commentaires litigieux ne relevaient ni du discours de haine ni de l’incitation à la violence" mais "portaient sur deux personnalités politiques et un parti et s’inscrivaient dans le contexte d’un débat politique d’intérêt public". En conséquence, par le contrôle de la "nécessité dans une société démocratique" de l’ingérence en cause, la Cour estime que les juridictions nationales n’ont "pas expliqué en quoi les intérêts des demandeurs primaient l’intérêt de la société requérante à garder le secret sur l’identité des utilisateurs en cause", alors que, "pour un exercice de mise en balance dans une procédure relative à la divulgation de données d’utilisateur, un examen prima facie peut suffire mais nécessite cependant au moins une forme de raisonnement et de mise en balance". Pour les juges strasbourgeois, le gouvernement autrichien a violé l’article 10 de la Convention.